Discours de SEM Macky Sall, Président en exercice de l’Union Africaine au Sixième Sommet Union Européenne-Union Africain
Excellence, Monsieur Emmanuel Macron, Président du Conseil de l’Union Européenne,
Excellences, Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres de l’Union Européenne et de l’Union Africaine,
Monsieur le Président du Conseil Européen,
Madame la Présidente de la Commission de l’Union Européenne,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Au nom de l’Afrique, je vous remercie, chers collègues d’Europe, pour l’aimable invitation et l’accueil convivial, dans votre belle et historique capitale européenne, pour notre 6erendez-après celui d’Abidjan de 2017.
Nous venons à vous dans un esprit d’amitié et de fidélité à notre partenariat, conscients de tout ce qui nous lie.
Entre l’Europe et l’Afrique, il y a la marque des pesanteurs de l’histoire, et une proximité géographique étroite, par le trait d’union méditerranéen. A peine 15 kilomètres nous séparent.
Entre l’Europe et l’Afrique, il y a le brassage humain, qui a fécondé des affinités socio culturelles et linguistiques.
Entre l’Europe et l’Afrique, il y a le coût immense de la guerre, payé ensemble, deux fois en l’espace d’une génération, dans la souffrance, dans le sang et dans les larmes.
Entre l’Europe et l’Afrique, il y a, enfin,une coopération ancienne, intense et diverse.
Voilà ce qui nous lie. Voilà ce qui fonde la particularité et la complexité de nos relations, alors que le cours de l’histoire s’accélère sous nos yeux, bousculant les certitudes et les habitudes préétablies.
Je pense, entre autres, au défi de la paix et de la sécurité, aux vulnérabilités qui affectent les Etats, pas seulement en Afrique.
Je pense au réchauffement climatique, aux opportunités du numérique, mais aussi à ses dérives ; aux flux migratoires illégaux et aux multiples impacts d’une crise sanitaire inédite.
A l’image du monde, plus de 60 ans après ses premières indépendances, l’Afrique est aussi en pleine mutation. L’Afrique a changé, beaucoup changé.
Malgré quelques contre-performances, la cause de la démocratie gagne du terrain en Afrique.
Sur plus d’une décennie, la croissance y a été régulièrement supérieure à la moyenne mondiale, même si elle est aujourd’hui freinée par les effets sévères de la pandémie.
Comme partout ailleurs, les peuples africains voient le monde en instantané. Ils aspirent légitimement au mieux-être et à la prospérité.
Cette Afrique en pleine mutation veut des partenariats consensuels et mutuellement bénéfiques ; des partenariats co-construits sur le fondement de priorités et valeurs partagées, sans injonction civilisationnelle, sans exclusion, ni exclusivité.
Avec l’Europe, l’Afrique souhaite convenir d’un partenariat repensé, rénové et refondé.
Plus qu’une mise à jour du logicielrégissant le réseau relationnel euro-africain, nous proposons d’installer, ensemble, un nouveau logiciel, adapté aux mutations en cours et apte à soutenir la dynamique novatrice que nous voulons imprimer à nos relations.
Ensemble, nous avons convenu d’engager un dialogue interactif sur sept thématiques, et de parvenir à une Déclaration orientée vers l’action.
Dans cet esprit, je soumets à notre sommet huit propositions comme contribution à la définition de notre nouveau partenariat.
Sur la base de l’expérience acquise en Afrique de l’Est, australe et centrale, la FEP pourrait également soutenir les efforts des pays sahéliens et membres du processus d’Accra face aux attaques des groupes terroristes.
Nous saluons l’émission historique de 650 milliards de dollars en DTS, dont l’Afrique a reçu son quota de 33 milliards, pour atténuer en partie le choc de la crise. C’était le premier objectif du Sommet de Paris de mai dernier sur le financement des économies africaines.
En raison de l’impact profond de la crise sur nos économies structurellement faibles, nous appelons à la réallocation de 100 milliards de dollars de DTS de pays riches qui y consentent, en faveur des pays africains, selon des modalités à convenir.
C’est ce qui nous rapprochera de l’objectif de 252 milliards de dollars dont l’Afrique a besoin d’ici à 2025 selon le FMI, pour contenir le choc de la COVID et amorcer sa relance économique.
L’Afrique, c’est 30 millions de km2, un milliard trois cents millions d’habitants ; et des besoins de financement de 130 à 170 milliards de dollars par an, selon les estimations de la BAD, rien que pour les infrastructures.
Nous sommes disposés à travailler avec nos partenaires européens à la mise en œuvre de l’initiative Global Gateway dans le cadre du Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA), en cours d’exécution.
La transformation structurelle du continent, passe par la réalisation des infrastructures routières, autoroutières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires ; mais aussi des centrales électriques, de l’agro business, des plateformes industrielles et numériques.
Une Afrique en chantier, qui trouve son compte dans le commerce et l’investissement, pourra occuper sa jeunesse et offrir à ses partenaires davantage d’opportunités de co construction, de croissance et de prospérité partagées.
Dans le même esprit, explorons ensemble les possibilités de collaboration autour du projet européen de connectivité à haut débit par satellites en orbite basse ; car le devenir de notre partenariat se joue aussi dans le champ fertile du numérique, où s’exprime le talent de notre jeunesse créative et entreprenante.
Pour l’Afrique, la perception du risque restetoujours plus élevée que le risque réel ; ce qui renchérit les primes d’assurance, pénalise l’investissement et réduit la compétitivité de nos économies.
Des études récentes montrent qu’au moins 20% des critères de notation de nos pays relèvent plutôt de facteurs subjectifs, certains d’ordre culturel ou linguistique, donc sans relation avec les indicateurs de risque ou de stabilité d’une économie.
Trop souvent, ces formalités et procédures retardent la formulation et l’exécution des projets, ce qui fragilise l’action publique et suscite des attentes parfois déçues.
A l’épreuve de la pandémie COVID-19, l’Europe s’est montrée solidaire de l’Afrique par des dons consistants de vaccins dans le cadre de l’initiative COVAX, et à titre bilatéral. J’exprime notre gratitude et nos remerciements à nos partenaires européens.
L’Afrique est aussi engagée dans la production de vaccins anti COVID ; notamment avec l’Afrique du Sud, l’Algérie,l’Egypte et le Maroc. D’autres comme le Sénégal, le Rwanda et le Ghana s’y préparent.
Nous invitons l’Europe à soutenir ce nouvel élan pour le renforcement de nos capacités pharmaceutiques et biotechnologiques, au-delà de la riposte anti COVID.
L’Afrique soutient l’Accord de Paris sur le climat. Nombre de nos pays développent à ce titre des stratégies de mix énergétique et des initiatives de protection et de restauration de la biodiversité dans le cadre du projet continental de la Grande Muraille Verte.
Pour un continent en retard sur le processus de développement, et dont plus de 600 millions d’habitants vivent encore dans l’obscurité, la priorité, c’est aussi l’accès universel à l’électricité et l’industrialisation de nos pays.
Voilà pourquoi nous sommes pour le maintien du financement de l’industrie gazière et pour une transition énergétique juste et équitable, tenant compte des besoins et contraintes spécifiques de nos pays.
La restitution des œuvres africaines reste une priorité élevée pour nous, parce qu’elles font partie de notre identité civilisationnelle.
Si nous voulons bâtir une nouvelle éthique relationnelle Europe-Afrique, fondée sur le respect et la reconnaissance de la vérité historique, il nous faut conforter le travail déjà entamé dans le sens desrecommandations du Rapport Savoy-Sarr.
Chers collègues, Mesdames, Messieurs,
Avec ces huit propositions, l’Afrique veut adresser à l’Europe un message conciliant et confiant dans le destin solidaire de l’humanité.
Notre compatriote, africain et sénégalais, Cheikh Hamidou Kane, rappelait d’ailleurs ce destin solidaire dans L’aventure ambiguë, son roman autobiographique à succès publié il y a 61 ans.
L’auteur y relate la rencontre entre l’Afrique et l’Occident, à travers le parcours mouvementé du jeune Samba Diallo, héros du roman.
Ancré dans sa tradition africaine, initié à la civilisation arabo islamique par l’école coranique, et à la culture occidentale, jusqu’à la formation post universitaire, Samba Diallo deviendra finalement un personnage hybride, un enfant du monde, symbiose de trois civilisations.
Son salut, qui se confond à celui du monde, devra résider dans la fraternité humaine, par le dialogue des cultures et des civilisations, qui transparait dans un échange métaphysique et plutôt convivial entre le père de Samba Diallo, homme de foi, et Paul Lacroix, adepte de la science. C’est l’Afrique et l’Occident qui se parlent ainsi.
« Chaque heure qui passe, dit l’homme de foi, apporte un supplément d’ignition au creuset où fusionne le monde. Nous n’avons pas eu le même passé, vous et nous, mais nous aurons le même avenir, rigoureusement. L’ère des destinées singulières est révolue…car nul ne peut plus vivre de la seule préservation de soi…».
61 ans après, cette parole prémonitoire nous interpelle. A l’ère des complémentarités et des interdépendances, nous avons tous besoin les uns des autres.
C’est dire que l’Afrique ne peut se satisfaire de la promesse de continent du futur, selon l’expression à la mode.
L’Afrique qui a suffisamment porté le poids de l’histoire entend, enfin, se libérer de son fardeau, pour être acceptée et respectée comme partie prenante des nouvelles dynamiques qui régissent la gouvernance mondiale et forgent le destin commun de l’humanité.
C’est l’esprit qui nous anime en venant à ce Sommet, confiants qu’entre partenaires de longue date, nous pouvons travailler ensemble pour parvenir à nos fins communes. Je vous remercie.